Lamoura selon Max FORESTIER MARECHAL

LAMOURA selon MAX FORESTIER-MARECHAL

Suite à l’appel lancé pour le bulletin municipal de Mars 2012, concernant l’historique de notre village, Max Forestier-Maréchal , doyen des hommes natifs de Lamoura (1925), a souhaité témoigner de points d’histoire locale, afin qu’ils ne tombent pas dans l’oubli…

Vous trouverez ci-dessous des extraits de ces propos.

Nous lui adressons nos sincères remerciements pour la qualité et la précision des informations transmises  à travers ses écrits.

LAMOURA

« Le sel était précieux, indispensable. Les cantons suisses étaient également très demandeurs. Des caravanes de chevaux et mulets partaient des salines de Lons le Saunier pour rejoindre la vallée de Joux en Suisse, en passant par les Selmenbergs, le Bas des Meures et la Combe du Lac. Au pied du crêt du Bruchet (maison Chevassus à l’Antoine) existait une auberge, vrai caravansérail! où pouvaient manger, boire et se reposer, les hommes et leurs animaux. Les tenanciers étaient réputés pour leurs salaisons de grande qualité (porc, chèvres, gibiers) qui nourrissaient les voyageurs et étaient vendues dans toute la région. La viande était conservée dans de grands saloirs creusés dans des blocs de calcaire. La viande, en dégorgeant dans le sel, donnait la saumure, qui était le conservateur. En patois, la saumure se disait la « muire ». Par extension la « mouire » désigna le saloir et ensuite le lieu où se trouvait les saloirs. L’emplacement prit le nom de « La Mouire » puis « La Meura » puis « La Moura ».
Lamoura, en un seul mot, fut employé dès la formation du chef-lieu de la commune. »

 

La Russie

« La grande prairie qui s’étend, grosso modo , de la route de la Chaux Bertod, derrière la maison David, au creux de la Borne au loup, jusqu’à la route des Éterpets, a pour nom officiel Le Lanchat ou Linchat. Au milieu et à mi-pente de la prairie, il y avait un grand bâtiment, une  ‘’ferme double‘’, deux fermes accolées par leur façade arrière, sous le même toit. La ferme et les propriétés côté route de la Chaux Bertod appartenaient à un propriétaire. L‘autre ferme et terrains côté route des Éterpets appartenaient à ma famille Forestier-Maréchal de la Chaux Berthod.
1815: la grande défaite des armées françaises. Les armées des monarchies d’Autriche , Prusse et Russie déferlèrent sur la France. Des régiments français firent retraite vers le Sud par les montagnes du Jura.
Des contingents prussiens et russes partirent à leur poursuite en dévastant le Haut-Jura (les femmes, les filles et … les fromages trouvèrent refuge dans la grotte du Celary).
Les généraux russes et prussiens trouvèrent un endroit idéal pour l’établissement de leur camp de base: la grande cuvette que l’on continue encore d’appeler le Bas des Meures. Une ‘’ville’’ de tentes couvrit donc toutes les prairies du coin.
La guerre se terminait. La paix signée, les soldats envahisseurs firent retraite vers le Nord.
Pas tous…
Un jeune soldat russe déserta, se cacha, fut recueilli par le propriétaire de la ferme du Linchat, côté route de la Chaux Berthod. Il fut employé comme ouvrier agricole. Le pauvre était totalement illettré, son nom inaudible, mais il apprit bien vite le patois de la région. On l’appela donc tout simplement le Russe.
De son union avec la fille unique du fermier, naquit un petit garçon. On lui donna le prénom d’Honoré. Il avait une mère et un père: dans ce cas, il devait porter le nom de famille de son père. L’employé du curé de Septmoncel, devant un nom intranscriptible, sur le registre de l’état civil écrivit comme nom de famille: Au Russe. Honoré devint légalement, prénom : Honoré, nom : Au Russe.
Honoré Au Russe hérita de la propriété. Les voisins trouvèrent normal de donner le nom de Russie aux propriétés de Monsieur Honoré Au Russe.
On allait en Russie… La crête de la propriété devint le Crêt de Russie et le chemin y conduisant: le chemin de Russie.

C’est la véritable histoire que m’a raconté mon père. L’autre ferme et la propriété continuèrent à s’appeler Le Linchat.

Anecdote: Au milieu des années trente, l’ URSS était à son apogée et la France, avec le Front Populaire virait au « rouge ». Le propriétaire de la Russie était alors M. Eloi Gruet, agriculteur au village (face à l’entracte), militant communiste « de choc ». Ses deux grands garçons allèrent planter un mât à côté des restes de la ferme de Russie et hissèrent un grand drapeau rouge. Il flotta sur la terre de Russie jusqu’à la débâcle de 1940. »
De création toute récente, notre commune est née en 1839 !

Lamoura

La très grande paroisse de Septmoncel était divisée en sections administratives. Tout le terroir actuel de Lamoura constituait la « section de la Chaux-Berthod ». Quand on parla de démembrer la paroisse de Septmoncel en créant des paroisses et des communes sur ses plusieurs sections administratives, il fut nécessaire d’ériger une église, un cimetière et une mairie pour constituer le Chef Lieu.

Pour la section de la Chaux Berthod, le curé de Septmoncel, avec l’argent des paroissiens, les dons et l’aide de l’évêché, choisit un emplacement le long de la route des Eterpets, partie plate, derrière la colonie de Saône et Loire, pour ériger église, cimetière, mairie : le nouveau chef-lieu de la commune de la Chaux Berthod.

La commune de Lamoura faillit bien ne pas exister … L’achat du terrain était encore chez le notaire quand « un miracle » se produisit in extrémis.  Un paroissien dévot fit gratuitement don d’un terrain sis à Lamoura, sous le crêt Cornier, pour y installer église, cure et cimetière. Le curé de Septmoncel n’hésita pas un instant. L’emplacement était plus judicieux. En plus de sa gratuité, le lieu était plus central pour le territoire, au croisement de plusieurs sorties et, protégé par le crêt Cornier,  à l’abri de la bise et des tempêtes. C’est ainsi que fut créé le chef-lieu de la commune de Lamoura qui ne s ‘écrivit depuis lors qu’en un seul mot, Lamoura.

Les habitants furent les lamouratis pendant un siècle et demi. Le nom de lamourantin n’est que fantaisie de « touriste » repris par les nouveaux habitants de Lamoura, sans même s’être renseignés auprès de la dernière poignée d’autochtones sur la vérité historique.

Pour résoudre la question, le maire en place fit un test référendum auprès de la nouvelle population de la commune, offrant plusieurs noms, sans même la proposition historique de lamouratis. C’est bien leur droit de choisir le nom sans la moindre polémique pour oublier la vérité historique!

Les habitants de la Combe du Lac s’appellent les Combalaquis, ceux de Tréchaumont, les Chaumoniers.

Le Linchat

C’est le pays des lanches ou lézines dans les montagnes: grandes failles ou trous dans les rochers. En français, on parle de dolines.

Depuis l’arrière de la maison David de la Borne aux loups jusqu’à l’usine du lapidaire Dalloz de Septmoncel, s’étendait une bande de roches calcaires, totalement à nu, sans la moindre végétation. Dans les pays des montagnes calcaires (Jura, Vercors), ces parties tabulaires dénudées portent le nom français de lapiaz.
Le calcaire étant soluble, la surface de ces lapiaz était sculptée par les eaux par de nombreux trous, gouffres ou dolines.
Seule la partie haute de ce lapiaz nous intéresse. Le calcaire de cette partie était d’une qualité exceptionnelle; dureté, texture, couleur. C’était une véritable carrière où l’on venait tailler les « pierres de taille » qui formaient les angles des quatre murs des maisons, l’encadrement des portes et fenêtres, les seuils…
Quand les évêques décidèrent de construire une cathédrale à St Claude, ils firent venir d’Italie une « armée de tailleurs de pierres », pour tailler sur place, dans ce beau calcaire du Linchat, aux dimensions voulues, les belles pierres de la cathédrale.
Les pierres ainsi découpées étaient chargées sur des traîneaux, transportées sur les Hauts de Septmoncel – la Vie neuve par le chemin des Eterpets,  puis chargées sur des luges ou traîneaux jusqu’à Montbrillant par le fameux chemin du Mont. C’était le seul accès possible au plateau de Septmoncel et à la Suisse. Cette piste sinueuse qui escaladait la crête, entre les gorges du Flumen et le cirque des Foules était très fréquentée et indispensable . A l’arrivée sur le plateau, plusieurs destinations : le chemin des Eterpets, la Chaux Berthod, la Suisse par la Combe sambine ou la Combe du Lac , les Rousses et la vallée de la Joux.
La première route carrossable entre St Claude et les  plateaux de Septmoncel/Les Rousses fut ordonnée par Napoléon 1er lors de ses guerres d’Italie. C’est l’actuelle route, dite « Napoléon »,  qui relie la Chaux Berthod à St Claude.
La carrière du Linchat s’épuisa peu à peu et fut abandonnée. Seul un petit coin à ciel ouvert, derrière la ferme Chevassus à l’Antoine fut sporadiquement exploité.
Vers le milieu des années 30, un vieux tailleur de pierres italien vint tailler des pierres à la demande, durant l’été. Son abri atelier était au bord du chemin, derrière la ferme Chevassus. Sur le reste du lapiaz, la mousse, les fougères, les buissons puis les arbres recouvrirent les dolines et la carrière disparut presque totalement.
Avec cette digression, il s’agit en fait  d’expliquer le lieu dit Les Eterpets.
En effet, la taille des pierres faisait beaucoup de déchets et d’éclats inutilisables. Il était nécessaire  de  les enlever pour pouvoir travailler. On les évacuait alors sur les terrains voisins.
Eterpir est un verbe patois signifiant épandre, répandre, semer, éparpiller. On éterpait donc les déchets de roches sur le terrain qui tout naturellement, prit le nom des « Eterpets ».

Les évêques voulurent récupérer ce terrain. Ils employèrent leurs serfs « corvéables à merci » pour le déblaiement des déchets rocheux afin de rendre les espaces aux pâturages.
En témoignent encore de nos jours les très nombreux tas de pierres, murgers et autres murs en pierres sèches dans ce coin des Eterpets.

Le Boulu : rien de connu sur l’origine de ce mot.

Cependant, entre le chalet de la Frasse et la Darbella, existent un pâturage et un chalet appelés « Les Grands Boulus ». Les fermiers qui s’y « remuent » l’été, parlent simplement du Boulu. Il y a donc un Boulu à Lamoura et à Prémanon. Il serait sans doute utile de chercher dans ce sens et aux variations nombreuses des limites de la frontière. »

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